[Dimanche 6 août #16 - Petite personne]

Dimanche 6 août, C…


Elle avait ouvert elle-même les volets de la fenêtre de sa chambre et s’était installée dans l’embrasure, avec un livre. Je la voyais depuis le jardin dont j’avais fait le tour au lever du jour, petite personne en pyjama, calme, plongée dans sa lecture ; les cheveux nattés, rendus flous par le sommeil ; le bleu de son T-shirt tirant vers le gris, le pantalon large sur la cheville fine. Le livre, épais, massif, sur les genoux ; le soleil en train de se lever, lui aussi. Sous le cadre de la fenêtre, le tracteur en plastique jaune qu’on n’ose plus toucher parce qu’il abrite un petit nid de guêpes ; le lierre qui jaillit de la bande de béton.

 

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Je me disais tout à l’heure que j’avais été boulimique de faire, il y a quelques années : faire de la couture, du tricot, mon potager, de l’ecoprint, j’ai dessiné des trucs, chanté ; j'ai écrit de façon quasi quotidienne sur instagram, seule ou en binôme ; j’ai monté un spectacle, voire deux, réfléchi à beaucoup d’autres ; j’ai participé à des stages, des retraites ; j'ai marché. J’ai voyagé, un peu. J’ai fait des photos. Je n’ai pas fait ça tout le temps ; mais j’ai expérimenté des trucs, tout en faisant grandir deux enfants et me perdant dans un métier précaire, artiste et peu rentable.

Depuis deux ans (environ ; au moins), un ressort est cassé quelque part.

Je crois que les envies sont toujours là, mais je ne parviens plus à les toucher, elles m’échappent (ou alors, les attraper m'épuise). Je viens d’avoir un sursaut, en lisant deux-trois articles au sujet d’une autrice irlandaise, Sara Baume, qui crée des choses avec ses mains et semble écrire comme une déesse (j’ignore ce que ça signifie, écrire comme une déesse, c'est sorti comme ça ; je sais juste qu’il ne m’a fallu que quelques instants pour projeter sur cette femme, qui n’a qu’un an de moins que moi, à la fois admiration, frustration, envie, jalousie, miroir) ; et un sursaut hier aussi, en regardant un film que je croyais plutôt léger, qui s’est révélé être une manne à questionnements existentiels.


Dans un bout de podcast attrapé au vol en prenant un thé tout à l’heure, j’entendais une journaliste dire au sujet de Sara Baume qu’elle suivait sa propre voie, qu’elle n’était inféodée à aucune mode, quelque chose comme ça. C’était comme entendre (très injustement) que, moi, j’étais incapable de le faire ; incapable de suivre ma voie – j’ai l’impression de me prendre les pieds dans le roncier et de n’avoir jamais été foutue de trouver un nord. Comme donc font ces gens qui écrivent des romans et qui racontent des histoires ? Je ne sais pas si c’est ce que j’ai envie de faire – qu’est-ce que j’ai envie de faire… ? Je veux dire, à part lire plein plein de livres blottie dans mon lit ?

Une vilaine petite voix, très très mal aimable, depuis que j’essaie d’écrire ça, me dit : cesse de te plaindre en permanence. C'est comme outrepasser un interdit mais - je vais continuer, au moins un peu (avec des pincettes et tous les doutes du monde).


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[Été 2023 - Journal de bord, fragments]


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