[Journal d'été #6 - Ensauvagerie]

Mercredi 19 juillet, C…



Hier soir, vers 21h30, installée dans ma chaise longue devant la maison, impulsion subite. J’ai ramassé rapidement le matelas en mousse rangé sous le lit de mon fils, une couette et un oreiller, et me suis allongée dans le jardin, bien protégée des moustiques, et décidée à regarder la nuit tomber. Passer la nuit dehors, non, parce que je sais que ces nuits-là, toutes belles qu’elles sont, ne sont pas reposantes ; et j’ai besoin de repos. Mais je suis rentrée vers minuit, ensommeillée et joyeuse, après avoir un peu dormi, vu les couleurs du ciel s’assombrir, les ourses apparaître et briller une luciole à environ vingt centimètres de ma tête. Émerveillement.


Ça fait deux ou trois jours que je cherche un rythme, une cadence que je ne trouve pas encore. Je crois que j’ai un immense besoin de ne rien faire (j’ai la possibilité de vivre parfois quelques jours seule ou presque seule : je n’ai que mon propre rythme à suivre), mais je ne parviens pas encore à vraiment m’enfoncer dans le « rien faire » : quelque chose dedans piaffe. Je laisse piaffer.


*


Quoi de notable ? Vu ma première harde de sangliers dans un sous-bois, à la tombée du jour ; une araignée étrange, en déplaçant un meuble ; avec X., fait rentrer une étagère supplémentaire dans notre empilement mobilier savant – dans l’espace qui nous sert de salon, bureau, chambre, bibliothèque, espace d’archivage, où on fait du piano, du yoga, des abdos, des siestes, des puzzles, des jeux, des séances lecture-en-famille, où on s’installe pour regarder des films sur l’ordinateur, où on fait sécher le linge en hiver, où il manque un poêle à l’automne, on cultive l’art du gain de place, du rangement, du classement, de l’entassement - parfois c’est pénible, et souvent on s’en réjouit.


J’ai passé deux heures au jardin, il y a deux soirs, à désherber les quelques plantations faites cette année : tout est prêt pour passer l’été, paillé comme il faut. Enfin, pas tout, non ; mon petit potager, cet été, c’est un espace bizarre, double. Une partie est pas trop mal entretenue, l’autre est une friche. Il y a quelques années, je m’amusais à le regarder comme s’il s’agissait d’un miroir qui me montrait des aspects de moi auxquels je n’avais pas accès : si mon potager est toujours mon miroir, alors je constate qu’une part de moi est réduite à l’état sauvage – sauvage, cette part, et sans aucun doute fertile : des guêpes sont installées au beau milieu de cet espace-là, elles ont commencé à construire un nid, accroché à une ardoise que j’avais fichée en terre pour matérialiser un semis, il y a longtemps déjà. Sauvage, fertile, et protégée : j’ai tenté une percée dans cette petite jungle, hier, en me frayant un passage entre les deux énormes pieds de sauge qu’il faudra que je taille à l’automne - et j’ai été fraîchement accueillie par les guêpes – j’ai fait demi-tour fissa.


Sauvage, fertile, protégée, et inaccessible : je prends acte. 

 

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[Été 2023 - Journal de bord, fragments]

 


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