[Vendredi 15 septembre #4 - Détours - Retour à l'université]

Vendredi 15 septembre, C…



Je suis en pleine ébullition.

Après avoir commencé par paniquer à l’arrivée des premiers cours du Master sur la plate-forme numérique qui nous sert d’interface de travail, je commence à voir se dessiner quelque chose qui me réjouit au plus haut point : certes, je vais devoir cravacher ; mais la perspective de ce cravachage me rend joyeuse, peut-être parce que j’ai l’impression d’être à un endroit bon pour moi, challengeant mais accessible aussi (je crois), où les enseignants sont des pointures dans leurs domaines, où je sens que ma soif d’apprendre va être plus que nourrie (gavée ? Peut-être !), et surtout, surtout : je crois que mes besoins de relier plein de points ensemble vont être rencontrés. J’ai l’impression de chausser des lunettes qui me font voir un monde de réseau, de liant, de rhizomes, de systèmes ; disons que, si j’ai l’impression de voir le monde ainsi depuis longtemps, je vais m’approprier un langage pour affûter cette façon d’être, de voir, d’écouter ; je sens que cette formation va sans doute renforcer et légitimer une façon d’être dont peut-être je m’excusais aux yeux d’un monde un peu trop « normé » ; et les horizons m’apparaissent vastes.


Il va simplement falloir que j’organise mon propre enthousiasme : m’imposer des pauses, du temps, des interstices pour bouger un peu, m’occuper du jardin, et pas seulement bouffer de l’écocritique et des cours de méthodologie de l’écriture à toute heure du jour (voire de la nuit – j’ai de quoi occuper mes insomnies, ces derniers temps). Je me doute que cet enthousiasme sera passé au tamis du désespoir et du découragement plus rapidement que je ne l’imagine ; donc, apprendre à ménager ma monture, oui.


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Ce matin, au petit jour, brume au dessus des vignes ; j’aime septembre pour ça aussi, quand j’emmène les enfants à l’arrêt de bus alors que le jour se lève ; être témoin des passages.


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Irruption de la littérature dans mon jardin : Annie Dillard, dans Pélerinage à Tinker Creek, évoque les oothèques des mantes religieuses. X., qui a presque terminé de faucher notre pelouse pas tondue cette année, en a trouvé plusieurs dans les hautes herbes ; on en parlait précisément hier, et ce matin, il m’en a montrée une ; apprendre la lettre avant l’objet ; relier la chose à la lecture ; la curiosité d’Annie Dillard à la mienne.

On a déposé précautionneusement l’oothèque dans le romarin de mon jardin (de ton jardin, il m’a dit : ce petit bout de terre-là, c’est le mien dit-il, et cette attention me touche) ; les oothèques de mantes religieuses sont recherchées en jardinage parce qu’elles – les mantes – mangent à peu de frais beaucoup d’insectes dont la prolifération dans les potagers nuit aux légumes.

Pas certaine que la simple présence des mantes suffise pour faire fructifier mon potager l’année prochaine, mais qui sait ? Je mets toutes les chances de mon côté.



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Je parlais à X. de ce souci de m’organiser, et de ne pas me perdre dans les méandres de mon enthousiasme tout neuf ; de revenir au jardin ; de le regarder, il a dit. J’ai répondu : d’y travailler, tu sais de bêcher, de récolter, de pailler. De le regarder, aussi, il a insisté – je crois qu’il a raison.


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A quoi ressemble ce retour dans le monde universitaire – à peine une semaine après le début officiel de l’année scolaire ? Je me posais cette question, tout à l’heure.


Je crois que je vais y trouver ce que je craignais justement de ne pas y trouver : un espace où je suis autorisée, aidée, soutenue pour trouver le cheminement de ma propre pensée ; et pas, comme je l’ai longtemps cru, un espace où je devrais me conformer à la pensée d’un autre qui serait un maître à suivre. A dix-neuf ans, après ma Licence de Musicologie, je n’avais pas compris, et je suis partie très loin ; j’ai eu peur ; me suis sentie inadéquate. J’ai mis vingt ans à retrouver la porte, fait des détours, souvent heureux, je crois – des détours que je sens être autorisée, aujourd’hui, à mettre en lien, en relation, en résonance avec le champ d’études qui m’intéresse aujourd’hui.


Qu’est-ce que je prends, qu’est-ce que je garde des sentiers arpentés déjà, qui, simplement, m’aident à… vivre ? 

De mon intérêt pour la théorie polyvagale : le soin que je porte, et que je tiens à continuer de cultiver, à ce qui me permet de me sentir en sécurité là où je me trouve. 

De la relation d’aide, à laquelle je me suis formée durant cinq années intenses et mouvementées : la nécessité du lien, la délicatesse du sentiment d’appartenance (et l’habitude mignonne de râler en anglais). 

Des cours centrés sur le corps, sur la proprioception, sur la présence à ce qui me traverse : un chemin encore à tracer vers un corps plus grand qu’un corps soit-disant genré.


Avec tout cela, labourer ma propre pensée ; me mettre, moi, au travail ; me permettre d’être bougée, déplacée, ventilée ; il ne s’agit pas de devenir une spécialiste d’un sujet, mais de devenir une pensée en mouvement, attentive, curieuse, malléable et critique.


What an ambitious program.

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