{Mythologie intérieure - Archaïque équinoxe}

Mythologie intérieure, celle du dedans, celle des vieilles histoires, celle qui résonne avec les charnières des calendriers, des saisons de la vie et du temps sous les temps.

 


Il y a quelques années, j'ai senti quelque chose d'étrange et depuis, parfois ça affleure en moi quand je prends le temps de me poser dans mon jardin à la tombée du jour : la peur diffuse que le soleil ne se relève pas. Cette peur-là, je pressens qu'elle appartient à des strates d'humanité en moi anciennes, très archaïques ; elle parle de ces hommes et ces femmes du début des temps à qui la lumière et l'obscurité parlaient de sécurité, de chaleur, de subsistance, de cycles, d'éternel retour, des peurs de se perdre, d'être chassés, tués, poursuivis, des histoires autour des feux et des angoisses qu'on ne savait sans doute pas nommer.


Il galope dans les brumes des petits matins, Mabon, le grand Sauvage des temps du dedans, ce grand type dégingandé couvert de mousse et de lichens, le regard fou et flou à travers les branches des forêts qu'il traverse sans bruit, cerf la nuit, enfant le soir et homme des bois. On le reconnaît sous les chênes, il déploie les nappes du brouillard et les déchire à tour de bras, on l'attendait et il nous surprend – le Mabon des temps sous les temps. Il ferme ses grands yeux blancs qui voient vers le dedans, tire nos rideaux d'écorce rude et nous brinquebale dans sa hotte de vendangeur des saisons, nous serons pressés jusqu'à la lie – et nous exsuderons la lumière par tous nos pores.

 

Pour la première fois cette année, j'ai senti autre chose d'étrange, quelques jours avant l'équinoxe d'automne. Je suis attentive à ces portes, ces passages dans et entre les saisons, et chaque année je suis curieuse de ce qui va me traverser. Cette année - peut-être aussi parce que je me rapproche peu à peu de mes quarante ans et que je prends tous les ans un an de plus à peu près à l'équinoxe -, j'ai senti cette peur inattendue surgir de je ne sais pas bien où : j'espère que je vais passer l'hiver. J'étais dans mon jardin, en train de m'extasier devant les asters sur le point de fleurir – ils ont attendu mon anniversaire pour le faire... Et là, bam : espoir fou de voir encore une fois le printemps ; et crainte irraisonnée de mourir avant son retour.


Passer l'hiver, le froid, le sombre. Se serrer les uns contre les autres, se terrer au fond de nos terriers, de nos granges. Économiser le feu, le bois ; espérer avoir engrangé suffisamment de blé. Est-ce si lointain, à l'échelle de l'humanité ? Finalement, c'était hier.

 


Aujourd'hui, avec mes trente-sept ans tout neufs tout jeunes, cette pensée peut sembler un brin outrancière, voire carrément ridicule. Hors-sol. A priori, non, je ne vais pas mourir cet hiver – j'ai le sentiment d'écrire ça comme on conjurerait un sort -, mes conditions de vie éloignent de moi certains spectres - mais pas tous. Mettons que ce n'est pas prévu, dirais-je avec prudence.

Hors-sol... Est-ce que ce ne serait pas justement vraiment hors-sol que de tenir cette peur à distance, de m'en moquer ou de chercher à la faire taire en la ridiculisant ?

Oui, je le dis le plus sérieusement du monde : j'espère traverser l'hiver, j'espère que le gué n'est pas trop profond et que le printemps va revenir. Je sais qu'il va revenir ; j'espère pouvoir voir de nouveau fleurir la sauge de mon jardin. Je sais qu'il va revenir – ce qui ne m'empêche pas de simplement espérer son retour.


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Crédit photo : I. G.





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