[Septembre 2022 - Échos télescopiques]
Fragments pas si épars, des bouts d'automne cousus à l'été qui l'aura précédé, de la lecture - j'ai renoué avec la lecture et le bonheur de remplir doucement une bibliothèque et sentir qu'elle me ressemble de plus en plus - septembre.
J'ai lu Ressac, de Diglee, en juillet ; j'ai aimé beaucoup alors
j'ai écumé son blog, notamment les billets littéraires, et je suis
tombée en arrêt devant sa critique de Une année à la campagne
(Sue Hubbell). Me suis dit que je pourrais aimer fort ce
livre-là.
Et puis j'ai traversé une phase de lecture /
relecture de Benoîte Groult, une semaine de Benoîte à tous crins
et c'était très très chouette de la relire et de sentir que la
relire me donnait de l'énergie.
Et puis j'ai lu dans son
Journal irlandais, à Benoîte, qu'elle avait beaucoup aimé Une
année à la campagne.
Et puis pas longtemps après, en
écoutant un podcast, j'ai découvert l'amour que porte Diglee à
Benoîte Groult.
Alors toutes affaires cessantes j'ai
acheté - et dévoré - Une année à la campagne, et c'est beau, et
c'est doux, et c'est lent, j'en ai lu quelques pages hier sur le bord
de la Loire, et la chouette chasse en plein jour alors que j'écris
ça - ça me fait penser très fort à Baptiste Morizot et à toute
cette recherche de vocabulaire pour parler nos relations au vivant,
et puis à Starhawk et à ce qu'elle dit de comment on connaît (ou
pas) les territoires sur lesquels on vit, les oiseaux qui volent
au-dessus de nos têtes et le nom des arbres au bord des routes sur
lesquelles on marche.
J'aimerais bien ressembler à une
personne comme Sue Hubbell, un jour.
Une année à la campagne, Sue Hubbell, éditions Folio
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Où tu vas, il a demandé, hier, alors que je me levais du banc pour contourner l’aire de jeux, et j’ai répondu sans réfléchir je vais à Compostelle, voilà, je me mets en marche et je reviens dans quelques mois, un truc comme ça, j’ai souri et on a blagué. Je me suis simplement assise sur le banc d’en face, à l’ombre, et puis les amis qu’on attendait sont arrivés et je suis passée à autre chose – enfin, j’ai cru passer à autre chose.
Durant la journée, mon amie M.
nous a proposé de passer chez le bouquiniste du centre ville, alors
on a écumé les deux bouquineries du périmètre, et le dernier
livre que j’ai trouvé en regardant vaguement le contenu des bacs
devant la devanture, c’était Le Vestibule des causes perdues,
c’est un roman qui cause de gens qui marchent sur le chemin de
Saint Jacques et j’adore ce livre, il est simple, doux, il me
réconforte, je l’ai découvert il y a plusieurs années et je le
relis régulièrement
enfin là ça faisait longtemps que
je ne l’avais pas lu parce que je l’ai prêté à quelqu’un et
je ne sais plus à qui, j’étais persuadée que c’était
justement à M. mais non non elle dément fermement, bref ce roman
j’avais en tête de le retrouver un de ces jours, ben c’est lui
qui m’a retrouvée
...et le rêve avec.
Vers mes
vingts ans, j’ai vécu quelques mois dans le sud-ouest, pas bien
longtemps hein, c’était vers l’automne et l’hiver et j’avais
fait les vendanges, et puis après les vendanges j’avais tiré les
bois, toute seule dans les parcelles en novembre j’étais bien, les
vendanges c’était dur et c’était dur surtout d’être avec
plein de gens, à vingt ans je ne savais pas bien que ce n’était
pas vraiment un problème alors je m’en voulais d’être si peu
loquace, j’étais la fille bizarre qui ne sort pas un mot, bref
toute seule en novembre pour tirer les bois j’étais vraiment très
très bien, je pouvais rêver tranquille, et je rêvais à la route,
ces espèces de rêves de voyage au long cours je ne sais pas trop
d’où ils sortent mais ils sont là, aller à Compostelle ou
ailleurs je savais pas, rien n’était clair, juste je me voyais
bien avec un bâton de marche et un sac sur le dos – c’est tout –
et finalement je ne suis pas partie.
Je relu le livre trouvé
hier presque d’une traite, j’ai éteint à 1h du matin et je l’ai
terminé au soleil ce midi, j’avais pas vu tout de suite les fils
qui se sont tissés depuis la question de mes enfants à l’aire de
jeux où on attendait les amis, je suis en train de les voir
apparaître et ils dessinent les contours d’un truc que je
reconnais et que j’oublie beaucoup trop souvent – le vieux rêve
de la nomade, juste prendre un sac et partir, décidément je ne l’ai
jamais fait, je ne l’ai pas fait à vingt ans, trop peur du monde
sans doute – tu le voulais peut-être pas suffisamment, quand on
veut on peut, ah non ces machins-là on remballe ; c’est pas
vrai ; parfois tu peux pas et c’est tout, et moi à vingt ans
je pouvais pas, laissez-moi embrasser l’enfant que j’étais à
l’époque et lui dire que son rêve dans les brumes des matins de
novembre dans les vignes du bordelais il sort d’hibernation
quelques fois, il est comme un ours en plein hiver qui se retourne
dans sa tanière, il bouge, il dort encore, et un jour, vous verrez,
ce sera le printemps et il ne dormira plus.
« ...des
livres qui voyagent et d’autres qui te disent de partir. »
Le
Vestibule des causes perdues, Manon Moreau, Ed. Pocket, 2011
D’où viennent tes
mots, elle demande, ce que j’en sais tiens, mystère, ils viennent
d’où
ils viennent
et moi je me contente de les
attraper au vol, ils ont des airs d’oiseaux qui froufroutent et je
tends la main dans le ciel, parfois elle sert de perchoir
j’ai
des mains-perchoirs
durant les grandes
transhumances ailées dans les nuées je récupère des plumes
chute
de feuilles à l’automne chute de plumes au printemps
quand
j’écris c’est le printemps quand je n’écris pas c’est
l’hiver
je parle de mes propres saisons, là
mes
hivers traversent les jours mes printemps les réveillent
mes
mots viennent de là de mes mains
les oiseaux les font
passer depuis un endroit que j’ignore
ce sont des
messagers comme le rossignol dans les vieilles chansons
rossignol
du bois sauvage
voudrais-tu lui apporter ce message
je
ne sais pas où ils vont les oiseaux quand ils s’envolent mais je
crois qu’ils ne vont pas seulement dans les arbres
ou
alors - les arbres – ils ne sont pas seulement ce qu’on voit
d’eux
en tous cas de moi vous verriez en cet instant un
visage concentré les sourcils froncés le coude arrimé à la table
dans la cuisine – mais que sont les arbres c’est la question qui
soudainement s’ouvre
béance inattendue
psychopompes
ils sont
je parle des arbres et des oiseaux
passer
d’un monde à l’autre
faire commerce
nos mots
sont peut-être les plumages d'oiseaux insensés
ailleurs
qu’en
savons-nous
Je sème des petits
cailloux j'écris des dates au crayon à papier sur la page de garde
des livres que j'achète des noms des circonstances anniversaire de
conseillé par cadeau reçu le
j'écris parfois des
lettres que je cache derrière les photos que je mets sous cadre qui
sait quand elles seront trouvées je ne sais déjà plus ce que j'y
ai écrit
je laisse des traces je tisse les temps entre
eux je brode et ourle au petit point ce qui me traverse
le
temps qu'il passe au piano résonne avec celui qui j'y ai passé au
même âge et je pense à ma mère qui écoutait comme moi
j'écoute
je suppose que ma grand-mère écoutait déjà sa
fille avec cette oreille-là
On renouvelle le répertoire mais
on s'abîme pareil dans ce qu'on joue depuis trois générations
On
transmet quoi j'en sais rien une attention au détail aux phases de
la lune aux échos télescopiques poupées russes on n'en finit pas
d'ouvrir les yeux et les cadeaux aussi
ça me fait penser
à ces rares traces d'empreintes digitales trouvées sur des poteries
préhistoriques
y en a qui défient les temps eux-mêmes
je crois que cette ambition m'anime
armée de mon crayon à
papier
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Il n'est pas avare de mots, mais souvent il en dit peu, et ils sont simples et choisis. Il a parlé de la grâce de ceux qui aiment danser.
Je lui ai
demandé s'il rencontrait cette grâce dans sa pratique - il est
sculpteur ; il a dit, parfois je la trouve sans l'avoir cherchée,
quand j'ai sculpté un mouvement, parfois je sens que quelque chose
est là.
Et puis il m'a posé la même question - et moi,
est-ce que je la trouve quelque part, la grâce ?
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"En ville on peut vivre de longues
années de façon trépidante, le système nerveux s'en trouve ruiné
mais on peut tenir longtemps. Mais personne n'est capable de faire
des ascensions en montagne, de planter des pommes de terre, de couper
du bois ou de faucher pendant plusieurs mois d'une façon trépidante.
(...) À présent je prends le pas tranquille du paysan, même pour
me rendre de la maison à l'étable. Le corps reste détendu et les
yeux ont le temps de regarder. Une personne qui court n'a le temps de
rien voir. (...) c'est depuis que j'ai ralenti mes mouvements que la
forêt pour moi est devenue vivante."
Moi je ne sais
pas si mon corps saurait trouver la détente dont Marlen Haushofer
parle ici après une épreuve comme celle que traverse son héroïne,
mais ce qu'elle dit des yeux qui ont besoin de lenteur pour se
remettre à voir, j'aime fort.
Tout à l'heure, j'ai lu un
truc sur la différence entre l'urgent et l'important - on n'oublie
pas les sujets urgents, on les traite en priorité, on en fait des
priorités, mais on laisse de côté l'important - comme ralentir, ne
rien faire, vivre un peu. Je crois que c'est une révolution (oui) de
cet ordre qui est en train de s'opérer dans ma vie ces derniers mois
: je remets les pendules à l'heure et l'important au milieu ;
l'urgent à sa place d'accessoire (c'est difficile) ; et je vais
marcher un peu en forêt.
Le Mur invisible - Marlen
Haushofer - Ed. Babel
Je passe mon temps
cette semaine à me dire tiens ça je voudrais l'écrire, en garder
l'empreinte, mais finalement ça m'échappe et je m'accroche à des
instantanés qui s'effilochent - j'ai une image en tête, lue je ne sais plus où, de ce dessinateur qui ne se
séparait pas d'un carnet et qui presque y crayonnait les yeux fermés
les mains dans le dos, juste par nécessité de le faire, de garder
des traces ou de peut-être ménager un espace pour respirer entre le
réel et lui, enfin j'en sais rien de pourquoi il faisait ça, je
sais à peine moi-même pourquoi j'écris et je ne sais même plus de
qui je parle alors hein je vais pas m'aventurer dans des supputations
foireuses.
Outre ouvrir enfin mon Journal (avec un grand j
vous avez vu, idolâtrie de l'objet on n'a pas peur ici) qui se
balade à ma suite dans toute la maison sans que je prenne le temps
de l'ouvrir, ne pas oublier de me bricoler un carnet tout petit. Avec
son crayon associé. À froisser dans mes poches de jean. Pour y
noter à la volée l'émotion de voir le grand amoureux, la rogne du
matin frisquet, la poussière des travaux d'avant l'hiver sur les
portes qui vont enfin nous isoler du froid, la douceur de
la promenade près des ruines, le grand retour des cours de théâtre,
le regard de la chatte sur le bord de la fenêtre, l'humidité dans
les bois.
Et ne pas oublier de poser enfin le bouquet sec
d'E. au fond du jardin : l'équinoxe ici a eu le goût doux et calme
d'un passage (au cimetière) qui peut-être s'est lui même frayé un
passage dans ce qui fait mes jours.
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Crédit photos : I.G.
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