[Dimanche 13 août #20 - Plumes, voyages et troupeau d'oies]

Dimanche 13 août, C…



Hier, j’ai continué à ranger la maison, petit à petit : le projet de retrouver mon passeport a été un aiguillon assez efficace. J’ai ouvert aussi East Village Blues, de Chantal Thomas, trouvé dans une boîte à livre il y a quelques jours (d’elle, j’ai déjà beaucoup apprécié Souvenirs de la marée basse et Comment supporter sa liberté). Elle évoque le voyage, comment elle est mue par le désir de voir le monde, les autres, des visages, des lieux – elle explique quelque chose qui me trouble, parce que j’ai formulé l’exact inverse il y a quelques jours : elle aime marcher dans des villes inconnues, sans but, sans attendre quoi que ce soit. Quant à moi, j’ai identifié que c’est précisément ce qui m’angoisse. J’ai besoin (en tous cas, aujourd’hui) de planification, d’organisation, d’objectifs, quitte à en changer en cours de route si les aléas le commandent.


Je trouve intéressant (et terriblement utile) de nommer ce qui me fait du bien, ce qui, au contraire, fait monter l’anxiété, ce qui participe de mon confort ou de mon inconfort, et d’envisager que mon fonctionnement (oh gosh…) est valide aussi. Je crois que, si je ne mets pas au travail mes facultés de discernement (et j’ai l’impression que ce système de guidage interne a été très sous-sollicité chez moi jusqu’à ces dernières années), je pars du principe que les autres font mieux ; que mon fonctionnement n’est pas optimal ; que, donc, je passe à côté de ma vie.


Eh non… Je me réjouis de comprendre, enfin, que mon fonctionnement n’est pas défectueux, que mes besoins méritent douceur et attention, et que l’organisation a tout autant d’intérêt que la spontanéité – ce sont simplement deux fonctionnements différents.


En tous cas, hier en fin d’après-midi, bien installée dans ma chaise longue verte au fond du jardin, j’ai cherché des renseignements sur l’Eurostar et sur les Pass Interrail, et j’étais bien.



*



Ce matin, j'ai enfin supprimé les photos stockées sur mon téléphone ; j’ai repris mon torchon pour nettoyer une étagère couverte de toiles d’araignées, dans la cuisine ; et j’ai épousseté les plumes.

Ça me paraît tellement évident d’écrire ça – je vis à la campagne, alors dans la maison on entasse plumes, branches, cailloux, fossiles – peut-être que toutes les maisons à la campagne ne sont pas peuplées de cette façon ? Je n’en sais rien ; la mienne l’est. Ce matin, j’ai épousseté les plumes (buses, chouettes effraies, pic-épeiches, geais, faisans, cygnes, pies) en me disant que c’est une façon de retenir un peu encore ce qui, par nature, est voué à l'effacement ; et je peux en dire autant de la collection de bâtons qui se renouvelle au fil des années, à côté de la porte d’entrée, à l’extérieur ; et, à plus long terme, de la collection de fossiles que X. a trouvés quand il travaillait dans les vignes, ces derniers mois, et des silex que S. et E. entassent près du perron.


C’est rare qu’on ne revienne pas de balade sans caillou dans la poche, plume au chapeau, fleur à la boutonnière. Le bâton, près de la porte, on l’a ramassé l’année dernière : c’est S. qui l’avait trouvé ; il est très beau, avec des traces d’insectes qui font penser à des sculptures. Elle l’avait oublié près d’un étang, l’avant-dernier jour de cette belle randonnée itinérante qu’on avait faite avec des amis et des ânes, tout près d’ici (c’était comme si on avait plongé dans une strate souterraine de notre propre territoire, dont on ne connaissait que la surface). Quand elle s’en était aperçue, ça avait été un drame. Au retour, j’avais pris la voiture et retrouvé l’endroit, marché dans nos propres pas, et miraculeusement retrouvé le bâton, à l’endroit qu’elle m’avait indiqué, près de l’étang ; et quand je m’étais retournée, j’avais vu un petit troupeau d’oies se dandiner vers la rive. 

Je ne comprends toujours pas précisément cette image : je n’avais jamais vu d’oies près des étangs du coin. Elle m’évoque un monde mythique, ancien, tout proche, inaccessible pourtant ; et parfois, un pan de voile s’abaisse, et donne à voir, pour qui a l’œil ouvert à cet instant-là, ce qu’habituellement on ne peut pas voir.



[Été 2023 - Journal de bord, fragments]


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