[Jeudi 20 juillet #7 - Chantiers en cours]

Jeudi 20 juillet, C…



Ce matin, devant la maison, à quelques secondes d’intervalles : la merlette. Le chat roux des voisins. Un lapin. Une huppe fasciée sur la clôture.



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Je voyage dans mon jardin. Je le déplie – d’une année à l’autre – quand je cherche le nom des plantes qui poussent quand on cesse de tondre la pelouse, celui des oiseaux qui le traversent et qui l’habitent. Parfois, je suis frustrée de rester ; frustrée de départs, de déplacement, de découverte ; mais ces dernières années, l’anxiété se déploie, elle, et rester devient prendre soin. De moi, j’entends. C’est dans l’immobilité que quelque chose peut se remettre en mouvement, dedans, je crois.


Un échange tout récent avec une poétesse que je connais un peu et une lecture en cours (On s’est déjà vu quelque part ?, Nuala O’Faolain) me font rêver ; ou plutôt, ramènent à ma surface quelque chose d’un vieux rêve qui traîne chez moi depuis très longtemps : vivre, ne serait-ce qu’un peu, ailleurs. Je ne rêve pas d’un ailleurs trop lointain. Ce Master dans lequel je plonge, à la rentrée de septembre, rouvre une ligne, remonte l’horizon, vient frapper à la porte : alors, à quoi ça ressemble, l’après ?

L’après quoi ? Les vingt années à venir, peut-être, après les vingt qui viennent de s’écouler ; quand les enfants seront grands (c’est imminent) ; quand « je serai grande » ; quand – je me rends compte en essayant de mettre des mots clairs sur ce après que je n’ai aucune idée de comment me projeter. Ce Master, on dirait, me rappelle que j’ai la possibilité de me projeter – même si j’ignore encore comment. Il me rappelle que je peux être plus vaste.



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Je racontais avoir passé deux heures à désherber dans le potager, lundi dernier. Hier, j’ai passé trois heures à désherber dans mon bureau – je suis plutôt du genre efficace avec la paperasse – je n’ai aucune facture en retard, et je réponds aux sollicitations administratives rapidement - mais je laisse les documents s’entasser. J’ai classé le coin de ma table en vrac depuis des mois. C’est peut-être parce que j’ai une vie de couteau suisse, comme dirait l’autre : je cumule les feuilles de paie et les cachets ponctuels. Cheffe de chœur dans l’associatif, c’est sportif, en plus d’être peu rémunérateur. Classer mes bulletins de salaire est une aventure – et encore, ça s’est calmé : je n’ai plus que trois employeurs (j’en ai eu jusqu’à huit – en cumulant trois statuts différents) (leitmotiv : ne pas tomber malade. A une certaine époque, fournir trois mois de bulletins de salaire revenait à fournir vingt-quatre documents. Alors quand on me demandait mes douze dernières feuilles de paie, ça nécessitait une prise de rendez-vous avec les administrations qui n’y comprenaient rien, et dont les formulaires n’étaient jamais adaptés. Ne pas tomber malade...). 

Donc, hier, j’ai classé mes bulletins de paie des derniers mois, en cochant des cases dans les petits tableaux que j’ai mis en place, année après année, pour m’assurer que je n’en ai pas laissé moisir dans un vieux cahier ou dans un casier pas suffisamment visité. Cocher des cases, voilà quelque chose que je trouve profondément satisfaisant : le monde autour de moi s’ordonne, les pièces de puzzle s’organisent et forment un tableau reposant : je peux donc m’y reposer. Ce dont j’ai besoin, donc (récurrence du thème). Et c’était d’autant plus satisfaisant, hier, que je n’avais pas prémédité le chantier, qui s’est trouvé résolu avant qu’envisager sa mise en place ne m’épuise. Bien ouéj. Potentiel chantier à suivre : classer les dossiers de partitions de l’année dernière, et préparer les prochains.



Phrase relevée à l’instant, dans On s’est déjà vu quelque part ? : « Je n’arrivais pas à croire à quel point il est gratifiant d’avoir de l’ordre, de la propreté et de se construire un nid. » (Nuala O’Faolain, éd. 10/18, p 244) – cette femme, décidément, j’aime ce qu’elle écrit et comment elle écrit : elle montre, tout, et ça n’est pas impudique, y compris la solitude, la honte. J’aime comment lire ce qu’elle écrit d’elle densifie et rend plus réaliste l’intérêt que je porte à l’Irlande, que j’ai largement romantisée.


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Reçu, dans l’après-midi, ma première lettre de refus de la part d’une maison d’édition. J’ai envoyé un manuscrit, au printemps dernier ; à plusieurs maisons ; j’attends (sans vouloir me faire trop d’illusions) des retours. C’est drôle, je trouve ce courrier réconfortant – au moins, mon document a été ouvert et parcouru ; et le message n’est certes pas très personnel, mais chaleureux. Recevoir des refus, oui, mais avec des gants...

 

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[Été 2023 - Journal de bord, fragments]

 

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