[Lundi 7 août #17 - Grottes]

Lundi 7 août, Les B…



A deux reprises aujourd’hui, j’ai éprouvé le besoin de parler d’une émission entendue vite fait à la radio en début de journée : un spécialiste parlait de la grotte Chauvet, et du temps préhistorique qu’on a énormément de mal à appréhender – il évoquait le fait que nous ne pouvons percevoir le temps qui s’écoule que sur le temps de quelques générations, quand, pour envisager plusieurs dizaines de millénaires, on ne les compte plus, les générations. C’est tellement fascinant de dire : nous pouvons nous tenir au même endroit qu’un individu préhistorique - devant une paroi rocheuse -, et pourtant nous ne savons rien de lui ; nous ne pouvons que supposer, imaginer, supputer, projeter – mais nous n’en saurons pas davantage. Et maman d’ajouter : et pourtant aussi, sa présence est tangible, génétiquement enchâssée dans notre existence même. Ça me donne le tournis.

On parlait de ça au coucher du soleil, on a fait le tour du village en discutant et on s’est demandé ce qui était cultivé dans les champs qu’on longeait ; X. a cherché avec une application de reconnaissance végétale sur son téléphone, et on a appris qu’il s’agissait de millet ; et maman d’enchaîner : quand elle était petite, elle mangeait de la « millasse » - elle s’est demandé si ça n’était pas fabriqué plutôt avec de la farine de maïs – et X., dans ses petites recherches impromptues sur la culture du millet, nous a dit que c’était une culture très ancienne, qui a été supplantée au fil des millénaires par, justement, la culture du maïs.


Si nous n’avions pas marché le long de ces champs de millet, je n’aurais peut-être jamais su que, quand elle était petite, ma maman mangeait des gâteaux de maïs préparés par sa vieille voisine, gâteaux appelés « millasses » dont l’origine peut-être se perd dans la nuit des temps – la somme de toutes ces petites grandes histoires dérisoires qui se perdent me tord le ventre – alors je lui ai dit, à maman, d’un coup : tu sais, ces cartons de vêtements que je garde et que je stocke avec un mélange de joie et de contrition, tu sais, ces cartons que je ne peux pas jeter, ils me servent à ça, finalement : à conjurer la perte.



*



Elle m’a dit, J., qu’à ses yeux je fais partie de ces gens qui voient ce que d’autres ne voient pas, et qui déploient des univers intérieurs dont le monde extérieur a besoin – quelque chose comme ça. Ça me touche profondément ; une autre personne m’a dit quelque chose de comparable, il y a quelques années. Quant à M., elle a écrit : go girl, go. Ne pas oublier d’engranger des mots comme ça pour les jours de disette émotionnelle, tiens.



[Été 2023 - Journal de bord, fragments]





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