Irlande#3 - Plonger dans le voyage - The dive in the travel

Irlande#3 - Plonger dans le voyage - Dublin


{In english below}
 

A lire en guise d'introduction : 

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Je sais maintenant, alors que j'écris ces lignes quelques jours après mon retour, que le sujet essentiel de ce voyage, voyage tout aussi tangible qu'intérieur, c'était l'Ouest. Rencontrer l'Ouest. Mais j'avais besoin d'un sas, d'un moment qui me permettrait de me familiariser avec l'inconnu, d'apprendre à danser avec, de trouver la légèreté dont j'avais besoin pour que l'Ouest puisse se révéler pleinement quand ce serait son heure. Dublin a, pour moi, joué ce rôle de sas. Car...

...je suis loin d'être une routarde, ça, c'est assez sûr ! Je suis fascinée par le voyage depuis longtemps et j'ai un peu bougé dans ma vie, mais jamais en solo hors de mes frontières habituelles. Autant vous dire que ça a sacrément secoué dans ma chaumière au moment de mettre en pratique tout ce que j'avais rêvé jusqu'alors. Rêver le voyage est une chose, et le faire passer au feu de la réalité en est une autre...

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Commencer le voyage. 
M'installer dedans. Prendre note du vague relent de culpabilité qui m'étreint en montant dans le train, dans la petite gare à côté de chez moi - oui, ce voyage que j'ai rêvé seule, je me l'offre, à moi, sans autre justification que mon plaisir et ma seule joie -, le faire taire rapidement et inviter mon voisin de fauteuil à regarder le lever de soleil à travers la vitre – faudrait pas en oublier les choses essentielles.

A Saint Pierre, changement de train ; quelques mots échangés avec une femme revenant de Compostelle m'enchantent. Elle me parle de rencontrer le monde entier. Je songe à ces temps d'avant où les téléphones portables n'existaient pas, où partir impliquait un temps et une distance qui se franchissent maintenant sans y penser. Je suis partie à 6h30. A 14h, j'aurai atterri à Dublin – et franchi la Manche et la Mer d'Irlande – j'aurai franchi deux mers.


Dublin - La Liffey depuis les quais sud


Hypersensible je suis – je le reconnais, enfin.

Tant de sollicitations, de bruits, de publicité, d'attention soutenue, tout cela m'épuise. Je suis hypertendue. Tout s'est très bien passé, depuis le départ jusqu'à mon arrivée à Dublin puis mon installation à l'hostel (i-e auberge de jeunesse), mais je ne me sens pas bien. Comme pas à ma place. Je comprends un peu plus tard que j'ai tout simplement besoin de ce repos que je ne sais pas, habituellement, m'octroyer. Le croirez-vous ? J'ai eu besoin de plusieurs heures pour oser aller m'acheter quelque chose à manger...

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Force m'est de constater que leurs fish and chips, c'est pas pour les demi portions. Je cale.

Il me faut encore une heure ou deux avant de me détendre – et piger que me juger ne me mènera à rien. Oui, je suis tendue. Oui, j'ai peur de croiser des gens. Oui, l'auberge de jeunesse me terrifie (faut dire que je n'ai pas choisi la plus calme). Oui, je me demande ce que je suis venue me fiche dans cette galère. Et alors ?

Ce soir-là, j'ai dormi tôt. Pas osé entrer seule dans un pub – tant pis. Pas grave. Je n'ai pas besoin de me faire violence. A quoi ça m'avancerait ?




Dublin - St Stephen's Park
  


Dublin - St Stephen's Park


La journée qui a suivi m'a réconciliée avec moi-même. Oui, le temps dont j'avais besoin, je l'avais pris, j'ai pu profiter d'une ville belle sous le soleil, d'un musée qui m'a passionnée et de Saint Stephen's Park, petit coin de verdure printanier enchanteur. Et oser enfin pousser la porte d'un pub de Temple Bar, y dîner seule, et... commander ma première bière.

Oui. Je ne bois pas d'alcool. Sauf en Irlande...!


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Me demander pourquoi, sans relâche, pourquoi je fais toujours en sorte de me mettre dans des situations qui me challengent autant. Pourquoi j'ai tant peur du monde, et pourquoi le monde m'appelle aussi fort – à la mesure de la peur que m'inspire ce que je ne connais pas, sans doute. Je me rassemble, telle une pelote, et me lance à tout va contre les murs du monde. Moi qui ai peur de tout, comment se fait-il que je me pousse autant dans mes propres retranchements ?

Laisser passer les réponses attendues – celles qui parlent d'améliorer son accent ou de faire du tourisme – et faire de la place pour l'évidence : je ne sais pas pourquoi je me jette à grand fracas contre les murs de ce qui m'effraie le plus.

Sous l'évidence de l'ignorance, constater que quelque chose en moi a la réponse, au moins un morceau de réponse : je ne veux pas me laisser le choix.

Je veux sentir la vie m'atteindre plutôt que de rester blottie, immobile petite chose à moitié vivante – ou à moitié morte - dans ma tanière sans lumière.

Je veux chercher où, dans ma vie, c'est immobile, paralysé, en dormance, et déblayer la poussière. Ça se fait presque "sans moi", ça se fait en moi parce que je crois que c'est un besoin qui est encore plus vaste que ce que je suis, c'est comme si c'était un besoin de la vie même, en moi.

Pas le choix.


Dublin



Hey, I'm Jess...
...et elle parle avec plaisir et enthousiasme, cette jeune femme à l'auberge, et alors que je suis en train d'écrire au sujet de mes "pourquoi", elle me balance très directement : pourquoi tu es là, toi ? Pourquoi tu es à Dublin ?...

Léger vacillement sous la surprise.

Je pense très vite... :
...je suis là parce que je veux me sentir vivante et tremblante, sentir que je suis en vie et que c'est provisoire, vivre avec intensité, sentir combien je suis capable de vibrer, bouger, sentir, éprouver, je veux éprouver la vie plutôt que de m'en protéger, je veux faire tomber mes armures et l'Irlande est pour moi l'endroit rêvé pour ça – l'Irlande a ce bizarre effet sur moi, l'Irlande me dépouille de mes boucliers sans me demander mon avis, l'Irlande me met à nu et tout peut arriver.

...j'ai dit avec mon anglais qui boîte : je suis là parce que j'ai peur de tout et que je veux aller là où ce n'est pas facile pour moi.

Dans l'inconnu ? elle demande, Jess.

Oui, c'est ça. Cool, elle me dit, ma voisine. Et l'américaine dont j'ignore le nom à côté me regarde en souriant jusqu'aux oreilles, hoche la tête vigoureusement et me dit : it is the same for me.

Je rêve ou on a tous peur ? 
Je croyais être tellement extraordinaire. Mais je m'aperçois d'une chose très réconfortante. Oser être radicalement honnête avec ce qu'on ressent et en témoigner, semble-t-il, ça rapproche des autres. Ça rapproche les gens. Ça autorise tout le monde à montrer un peu de sa propre vulnérabilité.

Dublin - St Stephen's Park




Qui, pour moi, a été celui ou celle qui m'a montré ce chemin-là ?





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Photos : IG
 
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A lire aussi :




Et puis encore :

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{English version

Ireland#2 - The dive in the travel


Now I know, after my coming back to France, that the essential thing during this travel – inner travel and tangible travel – was the West.
To meet the West. But I needed a sas, a time which would allow me to be a bit more familiar with the unknown, to learn how to dance with it, to find lightness, to let the West be fully revealed to me when it would be the right moment for it. Dublin had been this sas. Because...

… I am far from being a adventurer spirit, for sure ! I am fascinated by the trip since a long time and I moved a bit in my life, but never by myself out of my usual boundaries. I must say : I have been shaked. Dreaming the travel is a thing, fully living it is another thing...


The dive in the travel. Noticing the sense of guilt I feel as I am getting on the first train, in the little train station near my village – yes, I dreamed this trip by myself, just for me, without any other reason than my pleasure and my joy -, stopping this feeling quickly, and inviting my neighbor in the train to look at the sunrise through the window – let's look at the essential things !

I think about these times of before, when we didn't have any phone, when leaving somewhere required a time and a distance that are now crossed without thinking of them. I left at 6:30. At 14, I will land in Dublin. I will have crossed the Channel and the Irish Sea – I will have crossed two seas...

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I am supersensitive. I can recognize it...
So much noise, focus, new things, all that is exhausting. I am very tensed. Everything went well, from my departure to my arrival in Dublin and then the settle in the hostel, but I don't feel good. I understand, some hours later, that I simply need a bit of rest – something I don't really listen in my life. Do you believe it ? I needed several hours to just dare to get something to eat...

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Wow. Their fish and chips are very big here. Too much for me... !

I need a bit of time more to understand that judging myself will not serve anyone. Yes, I am tensed. Yes, I am afraid to see people. Yes, the hostel terrifies me. Yes, I am wondering why I put myself in such a trip. And... so ?

This first evening, I went early to bed. I did not dare to enter alone in a pub. Not a problem. I don't need to push myself too much. Why should I push myself ?

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The day after have been perfect. Yes, I had given to me the time I needed, and I could have a nice time in a lovely town with sun, in a museum I loved and in St Stephen's Park, so nice place with flowers and trees. And finally... I dared to enter a pub, dinner alone there and... order my first beer.

Yes. I don't drink any alcohol. Except in Ireland !


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Why.

I am wondering why, all the time, why I always put myself in situations that challenge me so much. Why I am so afraid of the world, and why the world is calling me so much. I jump in the void, in the world, even if I am terrified by it. How is it that I push myself so much in my fears ?



I let the first answers coming – to improve my english, to make tourism -, and then the obvious one arises : I don't know why I push myself so much in the unknown.



And under this unawareness, I can see that something in me has a part of the answer : I don't want to give me any choice.



I want to feel my life touching me, instead of staying alone in my cave, my den, not moving, little thing nearly dead, in this cave without light.



I want to feel where, in my life, life is still, paralysed, asleep, and make it move. This is happening "without me", I think it is a deep need much bigger than me, it is as if it was a need of life itself.



No choice.


.............................



Hey, I'm Jess...
And she starts to speak with pleasure, this young woman at the hostel, and as I am thinking about my "why", she asks me very directly : why are you here ? Why are you in Dublin ?...


Surprise on my side.

I think very quickly :... :
…I am here because I want to feel myself alive, to feel my own life and that it is just for a while on this Earth, I want to live with intensity, I want to feel how much I am able to vibrate, to move, to feel, I don't want to protect myself from life, I don't want an armour anymore, and for me Ireland is the ideal place for that - Ireland has such an impact on me, everthing can happen to me here...

...and I answered with my bad english : I am here because I am afraid of everything, and I want to go where things are not easy for me.

In the unknown ? she asks, Jess.

Yes... Cool, she says... And the american girl in the bed in front of mine smiles from ear to ear, nods her head and says : it is the same for me...

We are all afraid.
I thought I was so different from others – but we are all afraid of something. I am getting aware of a very nice thing : when we begin to be radically honest with what we feel, and to talk about it, it brings people closer to each other. It helps to feel allowed to show a bit more about our own vulnerability.

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Who have been the one who showed me this way ?


Isabelle


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