Irlande#5 - Revenir dans le monde - Galway - Coming back to the world

Irlande#5 - Revenir dans le monde - Galway


Galway - Irlande

{In english below}
 
Je n'ai rien compris à ce qui m'a traversé si fortement, là-bas, sur Inis Mor. Je me suis simplement laissé traverser.
J'ai cette sensation, souvent, d'être consciente de ces dimensions multiples dans lesquelles mon existence se déploie. Et il m'a bien fallu revenir à un espace-temps plus conventionnel, plus... quotidien, après cela – et un peu de temps à Galway, avant de reprendre le bus qui m'emmènerait à l'aéroport de Dublin le lendemain, n'a pas été de trop pour reprendre mes esprits.

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En guide d'introduction :

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Le petit monde bruissant des voyageurs, des routards et des auberges de jeunesse, je ne connaissais pas avant – un petit monde où un Hey, I'm Isabelle ! chaleureux remplace quinze ans d'amitié et te permet de partager la soirée au pub avec de parfaits inconnus adorables -, et j'ai beaucoup aimé. Ce petit monde, quand tu y as mis le pied, crée une bulle de sécurité, où tu échanges des informations essentielles – mon bus demain est à 6h / où as-tu acheté tes bouchons d'oreille ? / le magasin d'en bas ferme dans dix minutes - et tu y philosophes beaucoup. J'ai rencontré beaucoup de femmes voyageant seules, et à plusieurs d'entre elles, j'ai posé cette question qui me taraude la tête : alors, raconte-moi, quelles sont tes peurs à toi dans la vie, est-ce que tu voyages pour les dézinguer, tes peurs ? Ça occupe la soirée, ça, for sure... !


Ma belle amie allemande d'Inis Mor m'a donné un conseil qui m'a été grandement utile lors de cette ultime soirée à Galway – que je ne voulais pas rater, ni la soirée, ni la fin de la journée d'ailleurs. Elle m'avait dit : quand tu entres seule quelque part, repère une autre personne seule, ne réfléchis pas plus de trois secondes, et va lui dire quelques mots. Avec un peu de chance, vous allez passer une superbe soirée... - des fois que ce conseil vous soit utile aussi, faites-en bon usage !

Mais avant cela, j'ai débarqué de mon bus. J'ai marché doucement sous le crachin qui commençait à s'installer sur la ville (le retour en pleine mer a été plus que houleux – j'ai adoré rester sur le pont du bateau, à prendre les embruns dans le visage – ça se mêlait aux dernières larmes qui avaient besoin de couler, enfin, celles que je croyais être les dernières), j'ai fait des haltes tout au long de la rue piétonne, de groupes de musiciens en groupes de musiciens, et suis arrivée tranquillement à mon hostel, le même que deux nuits auparavant.

Me suis installée, j'entendais la pluie sur le velux, et il m'est apparu soudain que si je ne sortais pas maintenant pour une dernière fois, je ne verrais plus Galway de jour avant un bon bout de temps – qui sait quand je reviendrai ? Si j'y reviendrai ?

Étrange. C'est comme si, à écrire ceci, j'avais comme la certitude que j'allais y revenir.

Alors voilà. Pleine d'une urgence à profiter du moment, du lieu, de cet Ouest qui m'ouvre le poitrail, j'ai dégainé ma capuche, mon bonnet, et j'ai marché.

Galway - Les quais


J'ai refait la marche faite avec mon ami M., deux jours avant - une éternité avant. 
Remettre mes pas dans mes pas. 
Savourer le plaisir de connaître l'endroit, un peu. De reconnaître l'endroit, de m'y sentir un peu chez moi. Sentir, encore une fois ébahie et émerveillée, d'être capable de tant d'émotions, et sentir les larmes se frayer leur chemin et couler sans entrave. 
Rire en croisant le regard de jeunes garçons marchant à l'envers, appuyés sur le vent – qui soufflait toujours bien fort, le bougre. 
Passer devant une église, l'entendre sonner juste à mon passage, sentir qu'elle m'appelle, m'interroger sur le sens de cet appel et découvrir que c'est celle de Claddagh - le Claddagh du fameux anneau que je portais à mon doigt depuis la veille, le Claddagh ring - et ouvrir de grands yeux, et juste pour cette raison, y allumer un lumignon en ancrant fermement l'intention en moi d'allumer pareillement mon cœur, ressortir dans le vent et la pluie, et partir en chasse d'un endroit où nourrir mon estomac qui commençait à crier famine.

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Samedi soir à Galway. Je n'ai pas bien compris s'il y avait des matchs de football particuliers ce soir-là, m'enfin tous les pubs étaient pleins à ras bord. J'ai réussi à me frayer un chemin dans un fish and chips, me suis attablée face à un vieil irlandais qui a rapidement laissé sa place à un jeune couple américain avec qui nous avons échangé très agréablement sur nos vies, les voyages et le reste – je sens que l'Amérique m'appelle aussi, celle des grands espaces et des montagnes et des déserts.

Oser entrer dans un pub, seule – ça, c'était acquis, je l'avais fait, je n'avais plus peur. C'est ce que j'ai fait après le fish and chips. M'y faire des amis, c'était un peu moins acquis, mais ce soir-là, j'ai mis en pratique le fameux conseil reçu la veille, et j'ai papoté un bon moment avec une jeune femme, une autre allemande. Nous sommes sorties à la recherche d'un autre pub quand la session de musique live s'est interrompue, et nous avons atterri dans celui qui se trouvait juste en face de mon hostel. Y jouait un groupe de rock déchaîné, trois jeunes mecs beaux comme des dieux qui mettaient une ambiance de folie – et m'y laisser prendre. Plus question de papoter, impossible de s'entendre, c'est autre chose, c'est le plaisir d'échanger des regards et des sourires avec le monde survolté tout autour.



La pluie tombait toujours, et quand je suis sortie, je n'ai eu qu'à traverser la rue pour m'engouffrer dans l'hostel, sans même réenfiler mon pull et ma veste – feeling at home.


Et dernière nuit. Dernière nuit les yeux ouverts – les fêtards, toujours, jusqu'au bout de la nuit -, et aussi l'excitation et les émotions et les pensées et l'imagination et les espoirs et tout le reste m'ont gardée les yeux ouverts.

La journée du lendemain sera ma nuit.


J'ai peur, un peu, qu'écrire tout cela ne fasse qu'affadir ce que j'ai vécu, mette mon expérience sous cloche, l'immobilise, la cloue.
Et peut-être que non. 
En donnant la possibilité à ces émotions d'être lues, ailleurs, par d'autres, plus loin, peut-être que des portes dont je n'ai pas idée, ailleurs, pourront s'ouvrir et laisseront passer d'autres émotions qui ont, elles aussi, besoin d'être reconnues, senties, vécues.
J'écris.




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Photos : IG
 
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{English version}

Ireland#5 – Coming back to the world

I didn' t understood anything about what went through me so strongly, there, in Inis Mor. I only tried to let myself be accrossed by these waves.


I have very often this feeling that I am aware of the different spaces where I can let myself expand. After that, I had to come back to space-time a bit more... normal, more daily – and a bit of time in Galway, before taking the bus to come back to Dublin airport, was perfect.



I didn't know he little world of travellers, of adventurers and of hostels before this travel, and I loved it. A little world where a Hey, I'm Isabelle ! replaces 15 years of friendship and allows you to spend the evening with very nice strangers... This little world permits a space of safety, where you share essential informations – I take the bus at 6 / where have you bought you ear plugs ? / the shop closes very soon -, and it is possible to share so much deep things. I have met a lot a women travelling by themselves, and I asked some of them about their fears – so, tell me, what are you afraid of in your life ? Why are you travelling... ? Good things to share, for sure...

My friend of Inis Mor had given me an advice which has been very useful to me for this ultimate evening in Galway – I didn't want to miss it. She had told me : when you enter somewhere alone, just look for another single person. Don't think more than 3 seconds, and go to talk to her. With a bit of luck, you will spend a good evening...

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But before, I got off the bus coming from the harbour and from Inis Mor. I walked slowly in the little rain (on the boat to come back, there was a real tempest – but I loved so much staying alone outside, feeling the spray mixed with my last tears – the ones I thought they were the last), I made some stops from music group to music group, and I arrived in my hostel.

Once settled, I stayed a bit of time just listening the rain on the window, and I suddenly realized that if I wouldn't go out right now, maybe I would not see Galway again for a long time. Who knows when I will come back ? Who knows if I will come back ?

This is strange. Writing this, I have the intuition that of course, I will come back one day.

So that's it.
I felt the necessity to make the most of this moment, this place, this West that was opening my chest so easily. I put on my hood, and I went for a walk.

I walked again where I went with my friend M., two days before – a lifetime before. I was recognizing my own path. I appreciated to know - a bit - this place. To feel a bit at home. And I felt, so amazed, my tears wanting to flow again. Again. I laughed seeing two young boys walking, struggling with the wind – still blowing so much, the wind...

I went past a church, I heard it ringing right when I was in front of it as if it was calling me, I wondered a few seconds what was the meaning of this call, I understood it was Claddagh church and I felt moved, and just because of that, I went in and lighted on a little candle, with the intention to light my heart the same, and then I started to look for...  a pub to eat something. I was hungry !

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Saturday night in Galway. I did not understood if there was a special football match this evening, but every pub was full. I managed to get a fish and chips, went to a table with an old irish man who left quickly, and I talked with two american ones with who we shared about our lives and our fears (of course !) - I also feel that the US are calling me, the America of big spaces, desert and Appalachians...

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It was OK for me to go alone in a pub – I had already did it. I went in a nice pub after my fish and chips. Trying to make friends in a pub was the next step for me... but this evening, I practiced this famous advice given the day before, and I spent a very nice time with another woman traveling by herself, a German one. We looked for an another pub when the music live session stopped, and we landed in the one right in front of my hostel. There was playing a wonderful rock band, the atmosphere was amazing, three young men beautiful as gods, and impossible to talk together but that was another thing, just the pleasure to be here, to share glances and smiles with the world around...

Rain was still falling, and when I went out, I only had to cross the street to go inside my hostel, without pulling on my sweater and my raincoat – feeling at home.

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And then, the last night. Last night with open eyes – still the revelers until late, but also the emotions, the excitation, the thoughts and imagination and hopes and everything else made me keep my eyes open.


The next day will be my night.


Isabelle 

And also :

Ireland#1 - The earlier travel

Commentaires

  1. Ma chère Isabelle - si tu me le permets ;-) - Je viens de te lire d'une traite, comme on lit une amie, et pourtant, dans l'absolu, je ne te connais pas. En te lisant donc, j'avais simplement envie de te dire : Isabelle je t'aime. Oups, on ne s'affole pas, tu n'as pas besoin de faire crisser ta chaise aux pieds de fer en reculant à demi effrayée. C'est juste un sentiment du vivant, comme si tu nous apparaissais tel un brin d'herbe bringuebalé de droite à gauche, essoré, mais tenace malgré tout sous les assauts de la vie et du vent. Il y a quelque chose de tellement vrai en toi que ça ressurgit de partout. A commencer par ton visage aussi, affiché sans fards. Une personne nue, sincère. Alors que dans le monde d'où je viens c'est plutôt l'ère des masques. C'est pourquoi, ton parcours et ton témoignage font du bien. Voilà, pas de chichis pompons, continue bellement ton chemin, et ne doute pas un seul instant que tu sois unique dans ce voyage intérieur, même si tu es seule dans ton enveloppe corporelle. D'ailleurs tu t'en es déjà rendue compte. Enfin bref, je te fais un coucou en passant, j'espère un minimum sympatoche, tout en nageant aussi un peu à contre-courant de cette même jungle que représente l'existence. Ne me demande pas de te donner un mouchoir, j'en remplis un peu les poubelles en cette période de l'année. Bon retour parmi les fous ;-).

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    1. Oh là là. Ah ben voilà. Ça y est... merci pour ces mots, chère Lore que je ne connais pas non plus mais que je re-connais, comme on se re-connaît dans les méandres de l'existence - et je crois que cet espace que je me crée dans cette jungle virtuelle n'a d'autre but que cela : allumer une lumière (plus ou moins tremblotante) chez moi et enfin rencontrer ces bizarres papillons de nuit - ou de jour, d'ailleurs - qui font partie de la même tribu de vivants. Je ne pleure pas, je souris plutôt jusqu'aux oreilles, tes poubelles se remplissent - ça veut sans doute dire que ça fait de la place ailleurs, non ? Suis tellement contente d'être vue comme je me sens - le brin d'herbe essoré, mais ouiiiiii, et pas tout seul, le brin d'herbe, en compagnie d'autres brins d'herbe qui poussent tranquilles dans les petits chemins reculés. Belle journée à toi, Lore des chemins.

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