Irlande#4 - La route vers l'Ouest - Inis Mor - The road to the West

Irlande#4 - La route vers l'Ouest – Inis Mor 

Inis Mor - Irlande

{In english below}
 

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Je me doutais que ce voyage en Irlande me ferait verser quelques larmes – après tout, je n'y retournais pas seulement "comme ça", je ne voulais pas y faire du tourisme, je sentais que j'avais une expérience à y vivre, une part de moi à y retrouver, un peu de temps à y passer.

Mais tout a été bien au-delà de ce que j'avais pu imaginer avant de partir. 
 
Verser quelques larmes ? Verser des seaux, oui... ! J'ai pleuré à gros bouillons, me suis transformée en serpillière, en madeleine, j'ai sangloté comme une perdue, j'ai fait l'éponge, j'ai éclusé des réserves lacrymales dont j'ignorais l'existence, j'ai trouvé en moi des réserves d'eau souterraine, des nappes phréatiques d'eau salée qui sont remontées telles des geysers sans que je puisse rien faire pour les arrêter, bref, j'ai chialé ma race comme il faut. Et ne croyez pas, en lisant ces lignes, que j'exagère.

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A lire en guise d'introduction :

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Je suis assise dans un pub, attablée face à un thé, j'écris, je profite. La radio en sourdine susurre des chansons douces.

...where have you been so long... ?

Ça y est, je pleure.

...tell a word to the world...

Elle m'a eue, la chanson. Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu d'épanchement lacrymal de cette qualité.



Elle va à sa propre rencontre, cette femme, à travers cette terre et musique et cette lumière c'est elle-même qu'elle vise, plein cœur, cible mouvante feu follet intermittent dans la nuit noire.

Il s'agit d'une histoire d'amour. Mais il ne s'agit pas de tomber amoureuse, non.
Elle va chercher son amour là où elle l'a laissé, elle ne sait pas trop où, c'est même étrange de dire qu'elle va chercher son amour mais ça ne vient que comme ça, et comprenez bien qu'il ne s'agit pas de quelqu'un à aller chercher mais de l'amour d'elle-même à retrouver, c'est une histoire d'amour quand même, vous voyez ?

L'amour lui-même.

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Elle va vers l'Ouest, vers l'Ouest sauvage et découpé – mais avant ça, elle fait escale à l'Est, à Dublin. Pour pouvoir suivre le soleil. Être avec le soleil. Ne pas être seule à suivre cette course.

A l'Ouest, il y a des yeux. Un ami. De longue date - ou pas. Elle ne sait pas. Elle sent. Elle a besoin de le rencontrer, cet ami, pour entendre l'écho, l'écho d'un temps autre, ineffable, un écho dont elle perçoit les pulsations avec tant d'acuité, là-bas.

Il faut un peu de temps pour apprivoiser le temps et l'intensité – et la haute mer.

Elle suit la course du soleil. Elle va faire rencontrer le temps de sa vie avec le temps des âges anciens. Faire coïncider deux espaces-temps, aligner les étoiles, plonger dans un inconnu déjà connu.

Galway - Littoral


Par quelle vieille magie ce pays me touche-t-il autant ?

Quelle substance dans l'air agit sur moi comme un révélateur et me dénude jusqu'à l'os ?

Ici, je traverse la vie, les temps, comme un fantôme vivant qui s'infiltre entre les lames des parquets et dans l’embrasure des portes.

Ce pays fait tomber mon armure.

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Pour se rendre à Inis Mor depuis Galway, on prend d'abord un bus pour se rendre au port d'où part le ferry qui assure la liaison avec les Iles d'Aran. 

J'ai grimpé dans ce bus après une nuit blanche. Après une soirée passée avec mon ami M., j'avais retrouvé mon hostel en plein centre de Galway, juste en face d'un pub très réputé de la rue piétonne – ce qui a été pratique pour ma dernière soirée sur place, mais ce soir-là, mon dortoir donnait directement, depuis le premier étage, sur le pub en question. Il y a eu des chanteurs et des fêtards enthousiastes sous ma fenêtre au double vitrage défaillant jusque vers 3h du matin, et quand, vers 3h30, le silence s'est installé, c'est mon corps lui-même qui a refusé de s'endormir, comme en surtension, épuisé mais refusant de s'abandonner. J'ai gardé les yeux ouverts jusqu'au petit matin.

Épuisement.

Je devrais le savoir. Ces épisodes de fatigue intense coïncident – préparent, peut-être ? - ces chamboulements, ces chambardements intérieurs qui nécessitent que le corps lâche, rompu de fatigue, incapable de contenir plus longtemps ces émotions qu'il refrène habituellement.

Inis Mor - Irlande


Inis Mor. Et avant cela, donc, ce trajet en bus, qui permet de faire une transition douce entre la ville et le début du Connemara.

Cette transition a été le déclencheur.

Comment un paysage a-t-il pu avoir autant d'impact sur moi ?

J'ai fondu en larmes dans ce bus, sans rien comprendre à ce qui m'arrivait. Pleine d'une tristesse étrange, d'un sentiment indescriptible qui me traversait sans que je n'y puisse rien, qui avait simplement besoin de me traverser – et mon corps n'avait plus aucune résistance à lui opposer.

Monter sur la passerelle du ferry a fait remonter quelques sanglots, encore. Et croiser certains regards, sur le pont de ce bateau, n'a rien arrangé. Et quand j'ai mis le pied sur Inis Mor, il m'a fallu quelques instants pour rassembler mes esprits et mes forces pour prendre contact avec l'auberge de jeunesse où j'allais dormir le soir.

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Je me suis aperçue, le lendemain matin, que j'ai passé ces vingt-quatre heures-là, d'un bout à l'autre, dans l'inattendu, le unexpected le plus complet.


Il y a eu la rencontre avec mes colocs de chambrée – et la mise en pratique de ce que j'avais vu une précédente coloc faire, à l'hostel de Dublin : je me suis présentée d'emblée, j'ai exposé mon plan d'action pour la suite, et l'une des filles présentes a été très contente de se joindre à moi. Voilà : j'ai expérimenté ce dont témoignent tant de baroudeurs de par le monde, le fameux partage, l'entraide, la proximité avec ces parfaits inconnus qui deviennent nos meilleurs potes le temps de quelques heures.

Il y a eu la location des vélos (presque aucune voiture ne circule sur l'île), la suée sur les petites routes qui font des bosses, et puis il y a eu cette plage. M. me l'avait dit : il y a des plages paradisiaques, dans le Connemara, on dirait qu'on est sous les tropiques. Ben oui. Il y en a une, là-bas. On s'y est assises, on a caressé ce sable si doux, je me suis approchée de l'eau, et c'est comme si l'eau appelait l'eau... me suis remise à pleurer comme une madeleine, sans comprendre, encore une fois, sans rien comprendre, juste en lavant peut-être tous les péchés du monde en même temps que me godasses prenaient l'eau mais je m'en foutais royalement, je suis même plutôt contente qu'elles aient été baptisées dans cet océan-là, mes godasses, je ramène un peu de sel de l'Ouest sur mes chaussures de sorcière ailée et ça me plaît profondément.

Il y a eu ce drôle de parking à vélos à l'irlandaise qui nous a fait bien rire, sans rien pour attacher les vélos, de toutes façons personne ne met d'antivol ici nous avait dit la fille à l'accueil de l'auberge en rigolant.

Et puis ce vent à décorner les bœufs, là-haut sur la falaise.

Il y a eu aussi les sept chapelles et le cheval qui broutait presque dedans, ces tombes anciennes mêlées à des tombes récentes tout autour comme les Irlandais savent si bien faire il me semble, le présent et le passé qui s'emmêlent les pinceaux, les gravures illisibles sur les stèles mais tant pis la nature garde la mémoire, elle, et les fleurs jaillissent toujours des carrés d'herbe où des gens ont été un jour enterrés par d'autres gens, et les pierres des chapelles sont là, striées, touchées un jour de main d'homme, et sans prévenir les sanglots ont déboulé à gros bouillons de nouveau, et là j'ai eu du mal à endiguer la marée les amis, ma meilleure amie du jour a fini par s'en apercevoir et on en a ri comme des baleines toutes les deux, du coup on a marché quelques pas jusqu'à l'océan tout près histoire de reposer les vélos et être un peu plus ensemble.

Inis Mor - Irlande


Et puis il y a eu le retour sur la route côtière, plus facile que l'autre qu'y disent les guides, une demi-heure à vélo pour revenir au village, mais voilà, les Irlandais et les estimations du temps et des distances, ça fait trente-six, alors en fait on a mis plus d'une heure, à suer avec le vent en pleine face, et dans le vent qui soufflait moi j'ai les larmes qui continuaient à couler sans s'arrêter.

Vent de face, tellement que si tu ne pédales pas même en descente tu recules, et puis laisser échapper des lambeaux de sanglots qui viennent de je sais pas où, m'ouvrir le cœur et laisser s'échapper à plein régime un chagrin à la fois familier et démesuré et incompréhensible et profondément connu, pleurer des seaux en criant à tous ces vents je veux garder ce pays dans mon cœur et dans mon corps, je veux garder tout cela en moi vivant, et sentir que les éléments ont entendu et ont tout imprimé en moi avec du sable, des algues, des pierres – surtout des pierres.

Et puis arriver en retard pour rendre les vélos au loueur de vélos, tant pis on les rendra demain – et le lendemain le loueur ne nous fera même pas payer de surplus, il nous a dit, pince-sans-rire, qu'il nous avait doublées sur la route avec son camion et avait bien vu que nous ne serions pas à l'heure – , on les laisse devant l'auberge, et m'apercevoir que la marque imprimée sur le cadre c'est "Jupiter", tu parles si ça m'a fait hurler de rire intérieurement, moi, Jupiter rétrograde il me fait pas peur, je l'ai chevauché, le Jupiter...

Et puis encore, il y a eu, le soir au pub, ce troisième mousquetaire, cette fille du Colorado (avec l'american accent please) rencontrée au moment de commander nos demi-pintes, avec qui nous avons formé un trio improbable pour une éternité d'un soir et de la matinée du lendemain et de la dernière balade sur le littoral avant de repartir vers le continent (car oui, sur Inis Mor, l'Irlande devient le continent).



Et puis il y a eu cette synchronicité qui m'a fait l'effet d'un coup de tonnerre, qui a provoqué une énième déferlante de larmes, ce petit magasin de souvenirs et cet anneau avec un cœur, traditionnellement utilisé en Irlande comme alliance mais qui symbolise aussi l'amitié donnée, et cette chose si étonnante alors que nous nous dirigions, juste après, vers l'embarcadère : ceux qui descendaient du ferry, en costumes chic et robes élégantes dans le vent et la pluie – franchement, débarquer à Inis Mor en escarpins, c'en est, une idée saugrenue, non ? -, ces gens se rendaient sur l'île y célébrer... un mariage, et moi qui venais de passer à mon propre doigt cet anneau de mariage, je me suis dit que vraiment, c'était le mariage avec moi-même que j'allais célébrer, puisque même les synchronicités étaient du voyage.




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Photos : IG
 
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A lire aussi : 


Et puis aussi :

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{English version}

Ireland#3 – The road to the West

I suspected that coming back to Ireland would make me cry – after all, I was not coming back just for tourism, I was aware that I had something to live there, a part of me to recover, a bit of time to spend there.

But everything went far beyond what I could imagine before leaving.
Shedding some tears ? I filled some buckets, for sure ! I cried so much, a real deluge of tears, I sobbed, I discovered huge stocks of salted waters inside of me, ground waters which came out of me like geysers and I couldn't stop them... Yes, I cried a lot. And don't think that I am inflating the truth !

.......................

I am in a pub with a tea, I am writing, life is beautiful. I am hearing some sweet songs on the radio.

...where have you been so long... ?

Here we go, I am crying.

...tell a word to the world...

OK. I am really crying. It's been a long time that I hadn't lived a lacrimal effusion of this quality.

..........................

This woman is going to meet herself, through this land and this music and this light, she is aiming for the heart, moving target, wisp in the dark night.

It is a love story.
But be aware that it is not about falling in love with someone.
She is looking for her love where she has left it, she doesn't really know where, it is even strange to say that she is "looking for her love" but the words are coming to her like that, and be sure that it is not about a man to find but about the self love to recover, it is a love story anyway, you see ?

Love itself.

…........................

She is going to the West, towards the wild West – but before that, she is stopping in the East, in Dublin. To let herself following the sun. To be with the sun. Not to be alone to go to the West.

Over there, there are eyes. A friend. A long-time friend – or not a long-time friend, she doesn't really know. She feels. She needs to meet him, this friend, to hear the echo of another time, ineffable, an echo of which she perceives so much the pulse, over there.

Some time is needed to tame times and intensity – and deep waters.

She is following the sun course. The time of her life and the time of ancient ages are meeting somewhere. Stars are aligning. She is diving in an unknown already known.

..........................

Why does this land moves me so much ? What is this old magic ?

What substance in the air impacts me as a revealer and I become bare until the bones ?

Here, I am accrossing life, times, as an alive ghost going through the floors and the doors. This land is destroying my armour.

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Inis Mor

To go to Inis Mor from Galway, we have first to take a bus to go to the little harbour from where the ferries going to Aran Isles are leaving.

I went on this bus after a sleepless night. After an evening with my friend M., I had joined my hostel in the center of Galway, right in front of a well known pub – and my dorm was right above the street. I heard a lot of nice and enthusiastic revelers through my window until 3 in the morning, and then, my body itself refused to sleep, exhausted but refusing to surrender. My eyes kept open like those of an owl until the morning.

Exhaustion.

I should know it. These moments of tiredness come at the same time – prepare, maybe ? – these times of inner transformation ; the body needs this exhaution to let go, broken from fatigue, unable to contain longer these emotions that it keeps usually inside.

…....

Inis Mor.

And so, before it, this road on the bus, to make the connection between the city and the Connemara.

The transition started off everything.

How can a landscape have such an impact on me ?

I burst into tears in this bus, without understanding anything about what was happening to me. I was full of a strange sadness, an unspeakable feeling accrossing me and I couldn't do anything to stop it. It just had to going through me – and my body couldn't resist to this wave.

To get on the boat made come some other tears, and some exchanges of glances, on this boat, arranged nothing. When we arrived on the island, I needed to take a bit of time to recover myself before going to the hostel where I would spend the next night.

......................

I got aware, the day after, that I lived all this day in the real unexpected, from the beginning until the end...

There has been the meeting with my roommates – and I tried to practice what I had seen before, in Dublin : I introduced myself, and shared what I was wanting to do, and one the girls here has been very happy to join me. And I experimented what a lot of travellers through the world are telling about, the famous sharing, the mutual aid, the friendship with this strangers who become our best friends during a few hours...

There has been the bikes rental (there are nearly no cars on this island), the little tiring roads, and then, this beach. M. had told me : some beaches in the Connemara are like tropical beaches... Yes. There was one like that. We sat there, I went near the sea, and it had been as if water was calling water, I cried again, without any thought except that maybe I was washing away all the sins of the world and my shoes were flooding but I did not care, I am very happy that my shoes had been baptized in this ocean, I am bringing back a bit of west salt on my winged-witch-shoes, and I really love it.

There has been this strange bike park which made us laugh a lot, without anything to hang the bikes, anyway, anyone uses any lock here...

There has been this wind that could blow off the horns, overthere on the cliff.

There has also been these seven churches and the horse nearly inside them, these old graves and these recent graves all together as Irish people do so well, past and present mixing all together too, the unreadable names on the graves but never mind, Nature is reminding, flowers are still springing from these places where some people buried other people, and the stones are here, touched by some men a long time ago, and without warning the sobs swept over once again, and this time it has been difficult to stem the tide, my best friend of the day saw it, and we laughed so much together about it, and we walked a bit until the ocean.

And then we came back to the village along the ocean, an easier road than the other if you read the guides, half an hour to come back to the village, but we needed more than an hour to come back, by sweating in the wind, and in this wind blowing my tears were still flowing without stopping.

Wind in the face, so much, if you don't pedal, even downhill you move back, and from me were escaping sort of tatters of sobs coming from I don't know where, I was letting my heart opening and from it was flowing a deep sorrow both familiar and inordinate and not understandable and deeply known, crying so much, screaming in this winds I want to keep this land in my heart and in my body, I want to keep all that in me alive, and feeling that the elements were listening to me and that they were printing everything in me with sand, seaweeds and stones – stones above all.

And then we arrived too late to give back the bikes, but never mind, we will give them back tomorrow – and the day after the man renting the bikes will be nice and did not ask for more money, he told us, with a deadpan expression but a smile in his eyes, that he had passed us with his little van and had seen that we wouldn't be on time -, we let them in front of the hostel, and I saw that the word printed on the bike was "Jupiter", I laughed a lot inside, I am not afraid of retrograde Jupiter you know, I have rode it, Jupiter...

And then, during the evening in the pub, this third musketeer, this girl from Colorado (with american accent please) met when we were ordering our half-pints, with who we shared the eternity of an evening, the morning after and the last walk along the seashore before coming back to the continent (yes, on Inis Mor, Ireland become "the continent").


And the last thing, this synchronicity as a thunderclap, which provoked an other wave of tears, this little souvenir shop and this ring with a heart, traditionnaly used as wedding ring in Ireland but also symbolising the given friendship – and this so strange thing as we were going to the little harbour, crossing the path of strange people well-dressed with nice shoes and evening dresses – it is so weird to come to Inis mor dressed like that, in the wind and the rain... -, this people were arriving there to celebrate... a wedding, and as I had just passed this ring to my own finger, I told myself that yes, I would celebrate my wedding with myself - even the synchronicities agreed.


Isabelle 

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